En 1755,
Jean-Louis PERNY
construit un orgue d'un clavier avec pédale
indépendante pour le temple de Montbéliard. Il
reste de
cet orgue le buffet du Grand-Orgue et les anciens panneaux de
tirage de jeux retrouvés lors du
démontage de
l'orgue et qui servaient de cales.
En 1844, Joseph CALLINET reconstruit entièrement
l'instrument avec deux claviers et pédale de 19
jeux. La
facture de CALLINET est directement issue de l'école
classique
de l'orgue français. Si les matériaux, les
techniques de
travail sont pratiquement immuables depuis près de
deux
siècles, certaines recherches sonores apparaissent
en ce
milieu du 19e siècle où l'époque
romantique
atteint également la facture d'orgues.
Si l'on considère la composition du récit de
l'orgue de
CALLINET, on constate la présence de trois jeux de
fonds de
8p., d'une anche soliste et d'un dessus de
flûte 4. Donc, pratiquement, abandon complet de la
définition du RECIT classique. Le clavier du GRAND-ORGUE
reste,
lui, résolument classique avec ses principaux, son plein
jeu,
ses flûtes et ses anches.
Le clavier de PEDALE ne possède que 18 notes.
L'orgue
à cette époque est avant tout
destiné au
culte, donc surtout à l'accompagnement des psaumes
et
chorals, et pas du tout au concert. On sait d'ailleurs que les
organistes, souvent amateurs, demandaient eux-mêmes
une
pédale d'étendue réduite ne servant
qu'aux
cadences.
CALLINET construit deux sommiers doubles de 108 gravures en
tout
pour le Grand-Orgue et le Récit. Le buffet de PERNY est
alors
complètement rempli. Le sommier de pédale est
placé à l'arrière de l'instrument
selon une
tradition alsacienne. Le buffet perd à cette occasion ses
tuyaux
de 8 p. en montre sur les deux tourelles latérales
pour une montre de 6 p. avec des basses de tuyaux de bois
placées à l'intérieur.
En 1899-1900, BEDEVILLE, facteur d'orgues à
Montbéliard, transforme l'instrument de façon
radicale.
Ce facteur utilise le matériel de DIDIER d'Epinal dont il
est
peut-être dépositaire, l'orgue de
Saint-Maimbœuf
étant de Didier. Il condamne le récit
intérieur de
CALLINET, en supprimant
la mécanique, et construit un POSITIF DE DOS, ce
qui est
exceptionnel à cette époque
où c'est
plutôt le contraire qui se produisait. Il
reconstruit la
mécanique du Grand-Orgue, remplace les claviers, construit
à neuf une mécanique de positif qui doit faire le
tour
d'une poutre, sous les gradins. Cette mécanique ne pouvait
marcher valablement.
Les 4 jeux de l'ancien Récit sont
réemployés au
positif et au Grand-Orgue, le tout est considérablement
transformé. En 1968, Curt SCHWENKEDEL modifie la composition
du
positif et complète le clavier de Pédale sur 30
notes en
transmission électrique. C'est cet instrument que nous avons
eu
à restaurer.
En novembre 1985, l'orgue a été
entièrement
démonté, et chargé (sous la neige)
pour être
transporté à Entrechaux. La tribune a
été débarrassée des gradins
du 19e
siècle nuisibles à la construction d'une
bonne
mécanique d'orgue, et le niveau plat
retrouvé.
Il fallait reconstruire logiquement une mécanique
en tenant
compte des spécificités de l'orgue
Callinet, des
sommiers anciens, avec la reconstitution du Récit ;
reconstruire
un Positif de dos avec une mécanique foulante
à
balanciers comme de tradition dans ce genre
d'instrument et
compléter mécaniquement la
Pédale à 27
notes, étendue couramment pratiquée par
Callinet,
permettant le jeu d'un répertoire très
étendu de
la musique d'orgue.
Un orgue bien conçu possède une logique dans ses
dimensions. Le buffet est cohérent avec ce qu'il
contient
et il est calculé en fonction de ce qu'il doit contenir.
Retrouver la dimension du grand Abrégé de bois de
108
rouleaux nous a permis de remettre les sommiers à
la bonne
hauteur, de là, de placer les claviers de façon
rationnelle par rapport au sol et à l'estrade du Positif,
donc
de rehausser le soubassement qui avait été
tronqué à cause des gradins.
Ce soubassement a été
reconstitué par greffes
diverses, et construction de panneaux moulurés
copiés sur ceux de Perny. Bien entendu, le buffet qui
était peint d'une couleur "chocolat" a
été
entièrement décapé. Sous cette
peinture, nous
avons relevé les teintes et les dessins que nous avons pu
retrouver. La charpente a été
rallongée à
la demande et nous avons reconstitué les tourelles
de 8 p.
dont la trace se trouvait sous la peinture du 19e. En effet, le
soubassement rehaussé eût
été trop haut pour
une montre de 6 p. seulement qui aurait alors paru trop maigre. Nous
avons refait les culs-de-lampe de ces tourelles d'une forme plus en
rapport avec le style de l'ensemble.
Le buffet du Positif de dos a été
entièrement
reconstruit sauf pour les panneaux de côté, d'une
forme en
rapport avec l'ancien buffet, avec les sculptures en copie du
Grand-Orgue au sommet des tuyaux. Pour englober les sommiers
de
Pédale et le soufflet à l'arrière de
l'instrument, nous nous sommes servis des anciens panneaux
complétés en copie.
Les sommiers anciens de Grand-Orgue et de Pédale ont
été restaurés, les fentes de
tables ont
été flipeautées, les barrages
encollés
à la colle à chaud, les soupapes
dressées et
remises en peau, les boursettes refaites en peau neuve de chevreau, les
tables et chapes dressées, l'en-chapage a
été
refait avec les anciens clous de fer forgé munis
d'amortisseurs
de peau neufs.
Les sommiers de complément de Pédale et de
Positif de dos
ont été construits en rapport avec la facture de
Callinet, en chêne avec enchapage également
à clous
de fer forgé. Trois claviers neufs, plaqués
d'ébène, les dièses
plaqués os ont
été construits ainsi qu'un clavier de
pédale tout
en chêne. Le tirage des jeux anciens a
été
restauré, celui du Récit
reconstitué ; celui
du Positif est bien sûr, neuf. La mécanique est
entièrement neuve, celle de Bédeville
étant
inutilisable. Donc, balanciers pour le Positif, suspendue
directe
pour le Grand-Orgue et le Récit, avec reconstruction du
grand
abrégé de bois de 108 rouleaux, doubles
balanciers
pour la Pédale, avec grand abrégé de
bois de forte
section pour les rouleaux.
Tous les abrégés sont à rouleaux de
pin, les
charpentes en chêne, les crapaudines de bois dur, les
palettes de
fer forgé. Il a été construit une
Tirasse pour le
clavier du Grand-Orgue, dont la commande est faite par une
pédale d'appel. Le grand soufflet de
Bédeville a
été restauré et conservé,
ainsi que son
système de pompes manuelles en cas de panne de
courant. Il
a été construit un soufflet à plis
parallèles pour le Positif, ainsi qu'un tremblant
doux pour
ce clavier. La soufflerie électrique est neuve, les
postages anciens récupérables ont
été
restaurés. Il en a été construit des
neufs en
plomb où nécessaire. Les porte-vent neufs sont en
bois
recouvert intérieurement et
extérieurement de
papier. La tuyauterie de Callinet avait été
considérablement remaniée et
transformée, ou
avait disparu. Les tuyaux restants avaient été
soit simplement
décalés, ce qui n'est pas grave, soit
pavillonnés
et recoupés, ceci ayant considérablement
grossi les
tailles, parfois de deux tons. Callinet marquait fort
clairement ses tuyaux. On trouve sur chacun, le nom du jeu en
abrégé, le nom du clavier en
abrégé, le nom
de la note, et parfois la destination. Exemple : E B8 - GO - MONTEE. Il
s'agit là du Ml 3 du Bourdon de 8 p. du clavier du
Grand-Orgue
de Mont-béliard. Nous avons donc
ressoudé les
pavillons et entailles, rallongé les tuyaux
recoupés,
redécalé les tuyaux à leurs anciennes
places, en
construisant les tuyaux manquants à cause du
décalage de Bédeville. Concrètement,
un ancien
tuyau pavillonné et recoupé sonnant Fa
dièse,
resonnera Mi en soudant le pavillon, et en rallongeant le tuyau d'une
bague en étain soudée au
diamètre exact de ce
qu'il avait été recoupé et reprendra
son ancienne
place.
Bien entendu, cette opération ne se fait pas au hasard, et
demande des recherches sur l'ancien diapason. La hauteur du La n'a pas
toujours été fixée à la
même
fréquence, selon les époques, les pays,
les
régions même. A Montbéliard, on
disposait de
plusieurs éléments pour retrouver ce
diapason :
- les tuyaux de façade non
décalés ;
- quelques tuyaux intérieurs dans le
médium du prestant
et de la montre non décalés également ;
- beaucoup de tuyaux décalés sans
recoupe, ou pavillonnés et décalés
sans recoupe,
- tuyaux où il reste au sommet des traces
d'accordoir ;
- les tuyaux d'anches qui n'ont pas
été recoupés.
Bien entendu, le tout tributaire d'une pression. On sait que
Callinet travaillait à pression
relativement
élevée. Les jeux d'anches sont utiles pour
retrouver la
pression. Il n'y a en effet que la bonne pression qui les fait bien
sonner et attaquer, en fonction de leur longueur. Si la pression et le
diapason ne sont pas bons, le tuyau "râle" parce que trop
court,
ou s'étouffe et "saute" parce que trop long. La pression de
l'orgue de Montbéliard est de 93 mm à la colonne
d'eau.
La composition arrêtée par le cahier des charges
des
Monuments historiques, M. Claude AUBRY étant
technicien
conseil, a été remaniée au cours du
travail,
après discussion et accord de toutes les parties. C'est
ainsi
que nous avons proposé en option de remplacer le
Flûte 4 de pédale prévue, par un
Ophicléide
16 bien plus utile musicalement.
Nous avons rajouté un rang de plus au Plein Jeu du
Grand-Orgue,
et un rang au Plein Jeu du Positif. Il a été
construit en
outre, un Sifflet 1 au Positif. Hormis
l'Ophicléide, qui a
bénéficié de subventions diverses, le
reste des
modifications a été
entièrement pris en
charge par les Amis de l'Orgue de Saint-Martin.
Nous avons construit à neuf les jeux suivants :
- Au Grand-Orgue :
- deux rangs de plein jeu, plus environ 30 tuyaux
manquants,
ainsi que les tuyaux nécessaires au
redécalage des
tuyaux à leur ancienne place
- les deux tourelles de 8 p. de
façade.
- Au Positif :
- toute la tuyauterie, ainsi que la
façade.
- Au Récit :
- la
flûte traversière, le dessus de Flûte de
4, le
Basson Hautbois en copie de Callinet, avec les bobines en bois
pour la basse ainsi que les anches en bois
peaussées.
- Le dessus
de Hautbois est harmonique sur les dix derniers tuyaux.
- A la Pédale :
- l'Ophicléide 16 bobines en bois,
anches en bois
peaussées
- complément de jeux de Flûte
8, Bourdon
16, Trompette et Clairon de 18 à 27 notes.
Le reste de la tuyauterie est de Callinet. Les bourdons de
métal
étaient avec calottes mobiles. Ces calottes
étaient de
Bédeville. Sans avoir la certitude que les calottes
étaient soudées - on ne sait pas en effet
exactement quand
les Callinet ont employé les calottes mobiles -, nous avons
décidé de rallonger les tuyaux et de souder les
calottes,
ceci donnant une meilleure harmonie, et surtout une meilleure tenue
d'accord.
L'orgue a été entièrement
monté en atelier
de façon que les parties neuves soient bien
adaptées
avec les anciennes, puis, démonté et
transporté
à Montbéliard pour être
remonté et fini en
septembre 1988.
Le buffet a été peint par M. Nonotte de
Besançon.
L'orgue a ensuite été harmonisé,
opération
qui consiste à lui donner le son qu'il doit avoir. Les
altérations de l'harmonie primitive, apparues au
fur et
à mesure des différents travaux sur cet orgue,
notamment
pendant l'intervention de Bédeville, font que l'on ne peut
prétendre avoir retrouvé le timbre de Callinet ;
cependant leur façon de construire les tuyaux fait que
certaines
constantes apparaissent à travers toute leur production.
Nous
avions en outre à harmoniser des tuyaux de
différentes
époques, notamment en ce qui concerne la tuyauterie du
Positif
qui est neuve. Le résultat sonore est
l'aboutissement de ce
que nous avons ressenti à travers ce qui est
matériel et
le reste. Un temple qui est un volume à "faire sonner" avec
ses
spécificités comme le plafond plat qui
favorise
et exacerbe même certaines fréquences
aiguës,
une communauté avec ses impératifs dans le
soutien du
chant choral, et la rencontre de personnes au sein de cette
communauté, tout cet ensemble faisant que cet orgue
est,
grâce à tous, ce qu'il est maintenant. C'est aussi
et
avant tout un travail d'équipe. Charles HENRY et Nicolas
WARENEKE se sont entièrement investis dans ce travail. Il
est le
reflet de leur art et de leur savoir.